De la stratégie militante

Depuis quelques temps de nombreux membres et sympathisants de la coalition Front de Gauche émettent des critiques quant à la stratégie et les propositions politiques que nous avons fait jusqu’alors. Je souscris à de nombreuses d’entre elles et souhaite les développer ici.

La notion de temps dans les couches sociales

Certaines de nos propositions sont visibles sur le moyen-long terme. C’est une lecture politique pour une classe qui possède un amortisseur social, c’est-à-dire des personnes qui ne souffrent pas immédiatement. Il ne s’agit pas d’une bourgeoisie comme le dénigrent les FDesouche et anars (« bizarrement » en accord sur la lutte contre la ligne matérialiste) puisqu’il s’agit de travailleurs ne possédant que leur bras/cerveau pour pouvoir vivre. Ce sont des personnes dont le travail n’est pas directement menacé par la concurrence ; des multinationales, de travailleurs immigrés fantasmés ou réels, d’une nouvelle entreprise, d’une restructuration. Nous pouvons à ce sujet revoir la sociologie des votes lors de la présidentielle de 2012.

 sociologie vote

Nous remarquerons un antagonisme qui peut sembler étonnant dans la sociologie du vote FN. Ce parti fut très plébiscité à la fois par le patronat et par les ouvriers. Ce qui peut sembler irréaliste s’explique selon moi par le patient travail de l’idéologie libérale qui consiste à détruire toute conscience de classe. Dans la catégorie patronat nous ne savons pas quelle est la distribution dans les TPE, PME, et grandes entreprises. Peut-être même sont inclus dans cette catégorie les artisans et travailleurs indépendants ? Nous ne le savons pas. En revanche, ce qui est sûr c’est que cette frange de travailleurs indépendants, artisans, TPE sont clairement dans la catégorie du prolétariat et ne sont pas à opposer à d’autres catégories comme les employés de multinationales ou grosses PME véreuses qui elles manipulent et aspirent les forces de leurs employés et de l’Etat.

La force de la fable, ou l’identification comme moteur politique.

Les élections présidentielles américaines ont vu l’émergence d’un plombier imaginaire invoqué par Mac Cain pour parler des problèmes d’emploi. En France les millionnaires Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen ont également invoqué des grandes figures. Le premier citant insolemment Jaurès et Blum, le second appelant à lui « les métallos, les petits, les sans-grades » et peu importe si sa politique visait à supprimer le SMIC. Souvenons-nous également du plombier polonais, figure illustrant le problème de la concurrence des travailleurs dans le cadre intereuropéen.

Une politique s’incarne dans le jeu des élections, non seulement dans l’homme qui se présente mais aussi au travers de ses attaques et propositions.

Tirer la couverture vers la gauche matérialiste

Nous l’avons tous remarqué, le temps où les médias se demandaient s’il fallait parler du FN ou pas est révolu. Il est partout, omniprésent et dictant le tempo politique en imposant ses thèmes. Que ce soit en adhésion ou en rejet, nous sommes « obligés » de nous positionner face eux. C’est une erreur qui installe dans les esprits que le centre politique se situe là, la meilleure illustration se trouve dans les élections européennes où dans les 5 minutes qui ont suivi les résultats les militants FN affichaient déjà « premier parti de France ». Cette insolence paye, ils auraient tort de s’en priver. Il faut remonter au tout premier temps de ce parti et d’un de ses penseurs François Duprat. La plupart des cadres FN se reconnaissent dans François Duprat, certains ont même son portrait affiché dans leurs bureaux.

La fameuse maxime simpliste « 1 million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop » ânonnée à l’envie par le voleur d’un riche cimentier sénile vient de François Duprat. Il est le théoricien de la stratégie politique du FN. A partir de là, toute la droite s’est progressivement sentie obligée de se positionner par rapport à ce vocable.

L’incarnation était trouvée, l’immigré. Le mal était posé, le chômage. Il fut plus tard décliné dans un champ lexical pour les fascistes ; délinquance, islam, chance pour la France, rsa, caf, etc. Il y avait un problème, une angoisse incarnée, et un héros pour les sauver. L’incarnation est d’ailleurs si forte qu’ils n’ont aucun problème à ce que le parti soit tenu par une seule famille.

Il nous faut donc désormais tirer la couverture à gauche, trouver un thème qui force le reste du champ politique à se positionner dessus.

Le libéralisme source des angoisses et violences sociales.

Le libéralisme est selon les derniers sondages sortis une notion appréciée mais au contours flous et mal définis. C’est le meilleur moment pour nous positionner en « contre » (résistants) et expliquer pourquoi. Il nous faut donc décliner toute une liste de problèmes liés au libéralisme au sein d’une histoire ;

  • Destruction d’emplois, aspiration des artisans et petits commerçants par les grandes entreprises (la fable de la concurrence)
  • Mise en concurrence entre les plus faibles (immigrés et ouvriers peu qualifiés)
  • Injustice fiscale (Différence entre petites et grandes entreprises : Gattaz. Fuite et donc délinquance fiscale)
  • Transformation de l’usager en client et ses dérives (meurtre de l’enseignante, suicides lié au management libéral)
  • Maltraitance des employés (amazon)
  • Stress lié à la contraction du temps (éloge du temps long)
  • Responsabilisation outrancière et accusatoire (si tu es dans cette situation c’est de ta faute)
  • Relativisme entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas (proxénétisme/prostitution, drogue, mise en danger personnelle)
  • Aspiration des forces communes par un système privé parasite lors de l’ouverture en concurrence (autoroutes, eau)
  • Perte du pouvoir de la décision populaire souveraine au profit d’une caste (système européen actuel)

Certains de ses points s’entrecroiseront sans doute, et peut naître alors plusieurs figures. L’artisan obligé de fermer son entreprise à regret, le maçon perdant des chantiers, l’employé affaibli, la jeune femme nigériane forcée de se prostituer, le jeune étudiant paupérisé devant travailler à tout prix pour continuer ses études, l’agriculteur qui se suicide.

 Ne pas s’excuser de demander pardon.

Au final, il nous faut être très concret. Utiliser des termes simples, des slogans chocs. L’invocation culturelle nous fait plaisir, mais il s’agit d’un entre soi masturbatoire. Il ne peut être l’élément principal pour une prise de parole. Il est finalement assez facile de démonter l’argumentaire libéral et d’accuser tous les autres partis d’entretenir cette fable. Il nous faut penser à très court terme, redéfinir la notion de prolétariat, exposer les angoisses et malheurs apportés par le libéralisme en l’incarnant (je propose le terme de parasite), puis enfin se poser en élément rassembleur de ce prolétariat et apaisant pour la société. Après le tumulte et le fracas, la paix sociale-iste.

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Pour approfondir :

Vidéos :

Lire :

Samir Amin: L’Implosion du capitalisme contemporain. Automne du capitalisme, printemps des peuples ?, Éditions Delga, 2012

Extrait de « Brève histoire du néolibéralisme » de David Harvey.

5 commentaires sur « De la stratégie militante »

  1. Juste une remarque de pinaillage: sans dédouaner Obama de sa politique néolibérale, ce n’était pas lui qui avait promu un plombier imaginaire, mais John Mc Cain, lequel, au cours d’un débat télévisé avec son adversaire, n’a cessé de reprendre l’exemple de « Joe the plumber » qu’il avait (réellement) rencontré dans sa campagne, dans le but de montrer combien le programme démocrate allait brimer les petits entrepreneurs. Obama avait réussi cependant à sortir « victorieux » dudit débat (on ne peut lui nier un talent rhétorique), et l’argument-surprise de McCain n’a pu porter les fruits attendus de renversement de tendance.

    On était donc dans un cadre américain où le débat se faisait entre la « liberté d’entreprendre » et l’étatisme soviétisant de quiconque annonce une hausse d’impôt; t dans un story-telling néolibérale où l’exemple individuel (de Joe the plumber) devient expérience collectivement partagée (par les téléspectateurs du débat). Et bien sûr Obama a donc su montrer que son programme n’empêchait pas du tout la susdite liberté, sur la base d’une histoire qu’il a découverte lors du susdit débat.

    Il n’empêche que je serais prêt à parier que la situation des petits entrepreneurs n’a guère dû s’améliorer depuis l’avènement d’Obama.

  2. Pour cependant ne pas rester dans le pinaillage: il y a quand même u problème de fond: certes, les petits entrepreneurs (artisans, petits commerçants) font partie du prolétariat, économiquement. Il n’en reste pas moins que culturellement, une bonne partie vote en grande majorité à droite: [cf. le succès du poujadisme jadis, et les fondamentaux de l’égoïsme petit-bourgeois renforcés justement par leur statut économique d’indépendants].

    Certes, ce sont les artisans du faubourg saint-antoine qui ont fait toutes les révolutions et révoltes parisiennes: mais nous sommes aujourd’hui dans un monde où les producteurs indépendants sont minoritaires, et où le salariat est devenu la norme: comment penser un discours de gauche qui puisse concilier politiquement la nécessaire réalité individualiste du petit entrepreneur et la nécessaire volonté collective du salariat? Autant la grosse boîte emmerde le salarié parce qu’elle e reconnaît pas son travail à sa juste valeur, autant elle est saluée par l’artisan parce qu’elle lui offre des chantiers. et donc du chiffre d’affaire,dans lequel il voit son indépendance et, partant, son mérite individuel.

    Bon, je suis peut-être pas très clair: mais juste pour dire que je crains fort qu’une bonne partie des petits entrepreneurs, pour des raisons moins réellement économiques que culturellement incorporées, préférera toujours un discours de droite simpliste à un discours de gauche, fît-il simplifié.

    1. C’est très juste et c’est là notre défi. Démontrer que l’artisan a plus à gagner à voter pour nous que pour les libéraux. Pour le démontrer je pense qu’il faut s’appuyer sur les actions conjointes du Medef et des gouvernements successifs pour s’apercevoir que les petits sont siphonnés par les gros (j’ai en tête les mesures d’aide à l’embauche au SMIC pour les hypers).

      Un autre exemple de discussion qui date de deux jours. Nous avons fait une journée voilier en corse juste avant de partir. Le capitaine était un agent de France Télécom parti en pré-retraite à cause des mesures de management inhumaines. C’est un passionné de bateaux, il a acheté celui-ci et autofinance son bateau par les sorties qu’il peut faire. C’est une petite activité qui lui sert surtout à rencontrer des gens (sa famille est restée sur le continent) et à faire ce qu’il aime, naviguer.

      Nous avons beaucoup discuté durant cette journée et nous en sommes arrivés à l’administration et la bureaucratie. Une passagère lui parlait des taxes, lui ne s’en formalisait pas. Ce n’est pas tant les taxes a payer qui l’embêtait (culture de service public peut-être ?) que l’imbroglio administratif et la lutte contre une entité qui modifie sans cesse les règles. Il existe des catégories, et son bateau passe d’une catégorie à l’autre en quelques moins à peine sans raison particulière. Il se retrouve donc dans une illégalité temporaire. Il a pris sa décision et battra le pavillon Belge.

      Voici un exemple illustrant selon moi l’angle que nous pourrions prendre. Un angle assez simple, les gros contre les petits. Les gros n’ont aucun problème avec l’administration, ils ont des spécialistes fiscaux et administratifs. Les petits n’ont que leurs bras unique, et après une dure journée de travail il faut encore « se battre ». Il nous faut renverser la logique tant en termes de taxes (reprendre l’exemple de l’entreprise de Gattaz) que de relation administrative. Simplifier la vie des petits, et complexifier celle des gros. Une opposition qui devrait je l’espère, porter ses fruits.

  3. Je reviens sur « les gros n’ont aucun problème, les petits doivent se battre ». Effectivement. Mon gendre qui travaillait avec son père en Serrurerie-Ferronnerie a repris ce petit artisanat au décès de celui-ci. L’Administration ne lui a pas fait de cadeau et devait régler ses charges aux dates et sommes convenues qui n’étaient toujours pas en rapport avec le chiffre d’affaires. A la finale il a baissé les bras et s’est tourné vers un travail rémunéré et en plus à rembourser les dettes envers l’Administration.
    En France aucune aide véritable est mise en place pour aider à la création d’entreprise.

    Maintenant, je reviens sur le texte général. Oui je suis d’accord avec ton article.
    Cependant, la montée du FN vient de l’exaspération des français envers les politiques qu’ils ont élus et où satisfaction ne leur est pas donnée.

    Le FN a repris tous les discours que le PC tenait dans les années 80 …. et ça marche!!!! la jeune génération se retrouve dans ce discours « tous pourris…. sauf le FN » c’est une découverte. Je m’en suis aperçue en faisant du porte-à-porte où au début j’intervenais en évitant d’avoir la même approche que le FN. Finalement j’ai contré en recherchant les interventions des cocos et je m’en suis servie pendant la campagne des Municipales.

    Nous avons trop laissé le FN s’emparer de nos expériences et comment toucher si ce n’est l’électorat « ouvrier » que de dire ce qu’il a envie d’entendre, sans que le FN s’il vient aux affaires s’en battra le coquillard et agira comme il en a l’habitude dans ses municipalités.

    Et puis, il faut le dire, les « états d’âme » de JLM et du PG et la campagne menée par eux envers le PC ne va pas arranger les choses!.

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